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Poison City : la censure au pays du manga

Après avoir traité d’internet et de la cybercriminalité avec Prophecy, Tetsuya Tsutsui revient chez Ki-oon avec un manga sur un sujet de société sensible : la censure des œuvres culturelles.

Nous sommes à Tokyo, en 2019. Mikio Hibino, jeune mangaka de 32 ans, vient de se lancer dans l’écriture d’un manga d’horreur au ton sombre et aux images assez crues, Dark Walker.

Mais, en pleine préparation des Jeux Olympiques, le Japon connaît une vague de puritanisme exacerbé qui touche tout objet culturel.

Alors qu’une commission officielle d’experts chargés de désigner les ouvrages nocifs vient d’être créée, des associations citoyennes militent pour la destruction pure et simple des œuvres incriminées, soutenues par un ministre qui s’est donné pour but d’éradiquer tout contenu culturel subversif.

Une ambiance électrique, où tout fait divers faisant écho de près ou de loin à une œuvre jugée violente la condamne à être retirée des rayonnages, et où la plupart des artistes sont obligés de s’autocensurer pour pouvoir continuer à espérer vivre de leur art.

Face à toutes ces pressions qui s’exercent sur lui, quelle sera la décision de Mikio Hibino ?

Tetsuya Tsutsui a toujours aimé traiter de sujets de sociétés sensibles à travers ses œuvres : les épidémies et l’insécurité avec Manhole, internet et la cybercriminalité avec Prophecy

Et cette fois, le mangaka a décidé de s’attaquer à un thème qui concerne sa profession, et à laquelle il a été lui-même directement confronté : la censure des œuvres culturelles.

En effet, on apprend, à la fin du premier volume, qu’il a découvert tardivement que le contenu de son manga Manhole avait été classé comme « œuvre nocive pour les mineurs » dans un des départements du japon. Et c’est en décidant de contester cette décision que Tetsuya Tsutsui a découvert les coulisses des commissions de classifications des œuvres, et a décidé d’en faire le thème de son nouveau manga.

Mais plutôt que de se servir de son histoire pour condamner purement et simplement la censure, Tetsuya Tsutsui a plutôt choisi de mettre en lumière le côté arbitraire et subjectif de celle-ci, même lorsque les intentions affichées pour la justifier peuvent sembler bonnes au départ (ici, protéger la jeunesse et réduire l’insécurité).

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Au fil des chapitres, et via la présentation de plusieurs cas concrets, Poison City amène donc son héros, et à travers lui le lecteur, à réfléchir sur ce qui peut amener à la censure d’une œuvre culturelle, et sur la légitimité de le faire ou non.

Mais surtout, le mangaka décide de pointer du doigt l’une de ses conséquences les plus néfastes : l’autocensure.

Car finalement, si le futur proche de Poison City nous présente un Japon où la question des œuvres culturelles violentes ou subversives a prit une place de premier plan, celui-ci n’est en rien une société dictatoriale et répressive où les œuvres incriminées seraient immédiatement détruites. Mais la simple décision de limiter les espaces de ventes de celles-ci et de leur faire une mauvaise publicité finit par amener spontanément les éditeurs et les mangakas à limiter eux-mêmes leur liberté de création, afin d’espérer pouvoir vendre assez de mangas pour en vivre.

Le traitement du sujet par Poison City s’avère donc aussi juste que passionnant, et rappellera à certains lecteurs des faits réels, comme la création du Comics Code aux États-Unis dans les années 50 (abordé dans un des chapitres du manga), ou la grande vague anti-japanimation qui a touché la France dans les années 80-90.

Seul bémol : le premier tome se concentrant surtout sur la présentation de différents cas de censure et d’autocensure, il est pour l’instant difficile de savoir vers où Tetsuya Tsutsui veut amener son intrigue. On espère donc que le mangaka ne nous décevra pas lors de la conclusion, qui devrait avoir lieu dans le deuxième et dernier tome.

Malgré tout, de par sa justesse et les questions intéressantes qu’il soulève, Poison City est un manga dont la lecture s’avère hautement instructive, ne serais-ce que pour prendre conscience que la liberté d’expression n’est jamais une chose acquise.

 

Rédacteur : Mathieu Carré

Poison City

Dessins et scénario de Tetsuya Tsutsui

1 tome paru en France en petit format chez Ki-oon, et en grand format dans leur collection Latitudes, série complète en 2 volumes.

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